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Carnets de voyages - Page 4

  • Ombrie, voyage intérieur : les places

    S’il y a un élément architectural qui  résume pour moi l’Italie c’est bien la place. C’est le lieu par excellence où la fameuse dolce vita imprègne l’esprit et le corps à travers une expérience singulière et apaisante.

    Je me souviens de Florence, de Sienne, de Bergame, d’Asti, de San Gimignano, de Volterra ou de Catane et toujours ce sont les mêmes sensations qui me reviennent.  Etrangement les grandes villes comme Rome, Milan ou Turin ont des places plus singulières. Elles sont bien sûr plus grandes que celles des villes de province et souvent plus imposantes mais elles n’offrent pas cette expérience qui me plaît temps. J’ai l’idée que dans la grande ville, la piazza n’est qu’un lieu de transition, un nœud servant de passage, un espace urbain de dé-placement. En revanche, il me semble que dans une petite ville italienne dont les rues et les maisons abritent les hommes depuis le Moyen-Âge ou la Renaissance, la piazza est le lieu où l’on s’arrête, l’endroit où on se rend et où l’on reste « en place ».

    En arpentant ces derniers jours les villes de Pérouse et Assise j’ai retrouvé cette certaine idée de la dolce vita que j’ai forgée, je crois, lors de mon premier séjour en Italie en découvrant  la Piazza della signora à Florence. C’est là que j’ai ressenti pour la première fois  cette profonde émotion de douceur et  de tranquillité. Plus précisément, c’est là que j’ai découvert cette expérience esthétique si précieuse, faite de la fascination béate devant la beauté de l’espace et de cette expérience si particulière du temps ressenti à travers une intense contemplation de la durée et de la profondeur de l’instant. A Pérouse, la Piazza Matteotti, et à Assise la Piazza del Comune m’ont toutes les deux offert le bonheur de retrouver cette expérience primitive. J’ai à nouveau ressenti ce délicieux plaisir d’être simplement ici et maintenant, hic et nunc comme disaient les Romains.

    Malheureusement,  je ne peux rester à demeure  et me détacher éternellement du monde. Il faut bien partir et laisser la beauté et le temps suspendu  d’une petite piazza d’Italie. Je ressens en partant presque comme un arrachement et je me console en espérant qu’il y aura bien quelque chose de cette place qui durera encore un peu en moi, bien en place.

  • Ombrie, voyage intérieur : marcher dans la rue.

    Entre 13 heures et 16 heures la rue somnole. Seuls quelques touristes bravent la chaleur étouffante et baguenaudent dans la rue endormie. L’ombre est précieuse. Elle fournit un refuge au marcheur et lui montre le chemin. Quand la température atteint 35 ° voire 40° à l’ombre, le besoin de fraîcheur devient la quête principale du promeneur désœuvré. Les églises qui jalonnent les rues surchauffées retrouvent leur sens de refuge ancestral, même pour le mécréant le plus acharné, sous peine de rôtir, non pas en enfer, en tout cas pas cette fois, mais bien plus sûrement au soleil.

    L’amateur de shopping trouvera là aussi, dans la rue désertée,  matière à sa concupiscence. Les boutiques, bien sûr, sont fermées mais la prévoyance des commerçants leur a appris à ne pas baisser leur rideau de fer. Ainsi, le chaland alangui par la chaleur peut, tout au long de son errance,  admirer  les plus beaux articles qui restent exposés en vitrine. Alors, l’amateur de shopping suspend sa marche un instant et se laisse aller à la rêverie. Cette petite robe, cette paire de chaussures, prennent à ses yeux une valeur toute particulière, celle du désir inaccessible. A moins de revenir plus tard, quand la boutique sera ouverte, on ne peut pas se payer ce petit plaisir. Alors, on rêve un peu, et ce charmant désir véniel se refait une virginité, on sait qu’on aurait presque pu, mais on ne l’a pas essayé, ni cette si charmante petite robe, ni cette si belle paire de chaussures. On magasine à peu de frais et il ne restera plus tard que le souvenir de ce petit désir sans engagement.

    Parfois, dans certaines de ces rues si pleines de soleil mais désertées par ses habitants on passe sous des cordes à linges qui relient les façades des deux bords de la rue ou de la ruelle. Il nous revient alors des souvenirs d’anciens films italiens en noir et blanc, immanquablement, si vous vous abritez quelques instants à l’ombre dans l’une de ces rues vous ne pourrez manquer l’inévitable Vespa qui passera crânement dans la rue désertée. On s’étonne alors de constater  à quel point la réalité peut parfois se conformer exactement à l’idée qu’on s’en fait. Une fois le Vespa éloigné et avec lui son grossier ronflement motorisé, on distingue les bruits des maisons qui vivent encore. D’abord, on n’y avait pas prêté attention, de la même façon qu’on oublie d’entendre le clapotis des vagues ou le chant des cigales. Et, sans que l’on sache vraiment pourquoi, soudainement tout un univers sonore apparaît à notre conscience. Toutes fenêtres ouvertes, les sons s’échappent, ricochent sur les façades de crépis jaunes, verts ou marrons et redescendent jusque dans la rue. Là, nous entendons cette étrange rumeur qui court et remonte de fenêtres en fenêtres, on ne distingue aucune parole mais c’est un bourdonnement diffus, dont de temps à autre émerge un éclat de voix, les pleurs d’un enfant ou un bruit de vaisselle.

    Au moment où la rue reprend son activité et que la chaleur décline doucement, les gens reviennent arpenter ses trottoirs. De nouvelles odeurs prennent possession de l’espace, des odeurs de savons, de parfums et d’eaux de toilette constellent les pas du marcheur. Nombreuses sont les personnes qui se sont lavées avant de sortir battre le pavé des petites rues italiennes.  C’est l’heure où l’on croise de généreux musiciens qui sous un porche ou une halle mettent un terme au brouhaha de la rue pour y faire résonner des notes de musique. Alors,  je m’oublie quelques instants, j’écoute la musique envahir à la fois la rue et mon âme et  j’arrête de marcher.

  • Ombrie, voyage intérieur : l'horizon et le ciel étoilé

    Nous sommes à la campagne, en Ombrie. Nous habitons dans une vieille ferme aux murs épais et tapissés de chaux à l’intérieur. Pour accéder à la maison il faut quitter la route et emprunter sur deux kilomètres un étroit chemin caillouteux à flanc de colline. La ferme est bordée de champs et d’oliveraies, et vers l’Ouest, la colline descend lentement vers un lac qui sert d’abri aux oiseaux migrateurs. Au-delà du lac s’étend la Toscane et  une élégante chaine de petites montagnes. Au sommet de l’une d’elle trône la cité de Montepulciano, où nous avons séjourné il y a quelques années. Ce bijou de l’architecture de la Renaissance Toscane se découpe à l’horizon avec une étonnante précision et le soir venu, le soleil rougeoie en descendant  derrière les  montagnes. Alors, elles se parent d’étranges couleurs, d’abord un camaïeu de bleus  colore les pentes et les reliefs  puis la montagne prend la couleur d’une aubergine sombre et mate avant de devenir tout à fait noire. C’est à ce moment, tandis que le crépuscule offre encore au ciel ses dernières lueurs, que Vénus apparait et que la montagne couronnée de sa cité toscane se détache en ombres chinoises.

    Je suis sur une petite terrasse de la ferme, en haut d’un d’escalier qui nous élève  à quelques mètres du sol et je regarde l’horizon. Où que mon regard se pose, il embrasse l’espace jusqu’aux bords du monde. Je me régale  de cet horizon infini. Moi, le citadin reclus, dont le regard bute sans cesse sur un mur, dont le regard se cogne aux façades de béton à chaque coin de rue, je retrouve enfin l’espace,  son immensité étalée à perte de vue. Je me sens en rémission, comme si je retrouvais  après longtemps de privation la plénitude de mon corps.

    Après que la nuit est venue et que l’horizon disparaît dans l’obscurité, les étoiles apparaissent à leur tour. Le spectacle du ciel étoilé provoque en moi une admiration profonde. C’en est fini du pauvre ciel parisien, pollué par nos lumières citadines qui nous privent scandaleusement du bonheur sans nom que l’on ressent dans la contemplation du ciel étoilée.  N’est-ce pas une des formes les plus perfides de la barbarie de notre civilisation que de nous priver de cette expérience immémoriale ?

    J’ai retrouvé le ciel étoilé. Assis sur une des marches de l’escalier de pierre, je retrouve aussi ce geste si naturel, je lève la tête et je regarde les étoiles.

  • Ombrie, voyage intérieur : le voyage

    Je crois qu’il a deux types de voyages, ceux qui ramènent quelque part et ceux qui vous emmènent ailleurs. Les premiers ont le charme des retrouvailles tandis que les seconds possèdent  le mystère des découvertes à venir. Mais, dans les deux cas, je suis de la même façon sidéré par la rapidité du trajet. Je me souviens qu’enfant il fallait près de 10 heures pour aller de Mantes à Bordeaux.  Partir de chez soi c’était déjà le début du voyage, le début du périple. Ce matin, j’ai fermé la porte de chez moi à 10h30 et à 14h30 j’étais à Pise, à des milliers de kilomètres. Finalement, le plus long se fut le temps passé à l’aéroport. Mon voyage a donc commencé par un moment de transit, un simple transit, une parenthèse dans le temps et dans l’espace, puis  je me suis soudain retrouvé ailleurs.  Pas de périple, pas d’étapes, pas de paysages qui, s’égrenant le long du chemin, évoluent peu à peu pour devenir doucement l’ailleurs.

    Comment appeler ces voyages qui ne durent pas, ou à peine, si peu, à peine le temps d’une balade à pieds ? Comment appeler ces voyages qui nous font dire, ça y est, nous y sommes, alors que nous n’avons rien vu de tout ce qui qui nous a rapproché de notre destination ? Le hublot de l’avion est pareil à tous les hublots d’avion et le ciel est pareil à tous les ciels. Nous voyageons immobiles. L’avion nous a privés du voyage, nous ne sommes pas véritablement « arrivés », nous avons transité et nous voilà !

    Mais si le XXI siècle nous prive du voyage pour nous livrer ce vilain mot de transit, il nous reste encore la découverte de cet endroit où nous avons atterri. Mes yeux vont se porter sur de nouveaux paysages, ma bouche vers de nouvelles saveurs, les sons qui m’entourent m’apporteront une nouvelle musique et les villes une nouvelle rumeur.

    Peu à peu, je vais découvrir cet ailleurs où je suis à présent, arpenter son territoire et dévoiler autant qu’il me sera possible ses mystérieuses promesses.

  • Ombrie, voyage intérieur : les préparatifs

    Cela fait déjà plusieurs jours que je pense à ce voyage. Je ne peux m’empêcher d’y songer avec une légère inquiétude, une petite crainte qui ne veut pas dire son nom. Les questions qui me préoccupent  sont vaines et désagréables. Je sais bien qu’elles trahissent un manque de confiance, et même un pessimisme de mauvais goût à quelques jours seulement du départ. Le  voyage sera-t-il réussi ? Saurons-nous passer de bons moments ? Echapperons-nous à l’ennui,  à la mauvaise humeur, à la frustration ? Fera-t-il beau ? Ne fera-t-il pas trop chaud ? Aurons-nous de bonnes literies ?

    Il y a forcément un enjeu, il y a toujours un enjeu. Un voyage de vacances se doit d’être réussi. S’imagine-t-on rentrer et dire « C’était comment mes vacances ? Oh, c’était nul. J’suis bien content de reprendre le boulot. » Non, c’est pas sérieux, on se doit de réussir ses vacances.

    Alors pour mettre toutes les chances de mon côté, je me prépare. Comme un athlète, je muscle mon jeu touristique. J’ai lu et relu le Guide du Routard. J’ai parcouru les sites internet  des Offices de Tourisme, j’ai établi des parcours de randonnées,  j’ai repéré les trajets faisables en train (j’aime prendre le train en voyage à l’étranger, ça fait partie du charme des voyages pour moi, découvrir des gares et y prendre le train, avec la délicieuse incertitude de la sémantique italienne et le risque d’être monté dans le mauvais train). J’ai établi la liste des spécialités culinaires, en particulier viticoles (le vin italien c’est quand même quelque chose !). J’ai fait la liste de tout ce qu’il fallait emporter, j’ai choisi deux petits livres de poches pour ne pas m’alourdir avec des pavés, j’ai nettoyé les objectifs de mon appareil photo et sélectionné les différents films que je voulais utiliser. J’ai vérifié la date de validité de ma carte d’identité et j’ai même demandé ma carte de sécurité sociale européenne.

     

    Je suis presque prêt. En attendant le jour J, je peaufine les réglages et je révise mon précis d’italien facile.