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  • Ombrie, voyage intérieur : boire du vin en Italie

    Le vin fait partie du patrimoine gastronomique de l’Italie, déjà, il y a plus de 2 000 ans, les Etrusques cultivaient la vigne et plus tard les Romains firent de Bacchus une figure tutélaire. Aussi, mon voyage en Italie ne pouvait-il se dérouler sans quelques agapes et bacchanales.

    J’aime les vins italiens. J’aime le fait qu’ils n’aient ni le même goût ni les mêmes arômes que les vins français que je connais. J’aime leur différence. Commander un verre ou une bouteille et découvrir un vin inconnu, c’est alors tout un monde de sensations qui s’ouvre. Mes sens se font les explorateurs de territoires vierges, de nouveaux parfums et de nouvelles  saveurs que je fige dans le souvenir d’une terrasse d’un soir d’été, à Terni, Assise ou Pérouse. Le vin aura l’éclat d’un reflet de marbre blanc d’un temple de Jupiter et l’écho de la douce rumeur de la ville.

    Boire du vin en Italie, c’est s’installer à la terrasse d’un café pour  prendre  l’aperitivo. Commander un verre de Moscato et un plateau d’amuse-gueules fait de quelques petits sandwichs de pain blanc, d’olives et parfois de chips. La douceur de ce vin blanc sucré accompagne à merveille la chaleur déclinante de la fin d’après-midi. Prendre l’apéritif en buvant un verre de Moscato à la terrasse d’un café en fin d’après-midi c’est un peu déguster le temps qui passe, c’est au terme d’une journée ensoleillée, consommer quelques minutes sucrées et délectables contenues toutes entières dans un verre de ce joli vin d’Asti.

    Boire du vin en Italie, c’est ouvrir une bouteille de Vino Nobile pour le dîner. Le repas se prépare, on ouvre le vin un peu avant de passer à table. La soirée s’annonce délicieuse. On dînera de quelques saveurs ombriennes, du jambon cru, salé et goûteux, des tomates fraîches de différentes variétés, de la mozzarella, de l’huile d’olive, du pecorino et des pêches en dessert. Le vin patine le palais d’un velours onctueux. Les arômes sont riches et puissants. Le repas est fini. On fume quelques cigarettes, éclairés par la lune sous le ciel étoilé. La conversation roule sur l’art et la politique, on parlera d’amour aussi, et on finira la bouteille.

    Boire du vin en Italie, c’est lire au restaurant la carte de vins inconnus et commander sur les conseils de la serveuse un Trebiano Spolitino pour accompagner des croquettes de riz au safran et des pâtes sans œufs à la truffe. Le vin arrive dans un sceau d’eau froide.  Je le goûte et c’est le ravissement. Il est doux et fruité, presque floral ; ses arômes sont à la fois subtils et évidents. Chaque gorgée, tout au long du repas, est un plaisir renouvelé. Je suis heureux, ce soir-là à Terni, car cette carte de vins inconnus est venue m’enrichir  d’un nouveau nom et de nouvelles saveurs ; je ferme les yeux, je déguste et je tente de fixer dans ma mémoire la découverte de ce vin ombrien. Le repas prend une forme de cérémonie, le safran et la truffe reçoivent la bénédiction du Spolitino, mes papilles voyagent dans de nouveaux territoires. Le plaisir de la table est évident, comme une révélation, et ce moment d’épiphanie païenne me laisse deviner à quel point Bacchus fut un Dieu qui aima les hommes, ici, en Italie.

  • Ombrie, voyage intérieur : les musées climatisés

    Quand il fait chaud, que l’on sort de table après avoir bien mangé, que les rues sont désertes, la chaleur accablante et les églises fermées, il ne reste plus que les musées pour se mettre au frais.

    C’est d’une admirable efficacité. Dès l’entrée dans le musée, la climatisation apporte un soulagement immédiat. La présence des œuvres d’art est tout d’abord assez lointaine, elles se situent dans un arrière-plan indistinct, repoussées dans les limbes de l’insignifiance. Mon corps occupe dans ces moments de fortes chaleurs tout l’espace et toute la durée que ma pensée peut  embrasser. C’est pourquoi, pendant les premiers instants qui suivent mon entrée dans le musée climatisé, mes perceptions sont entièrement réduites à la douceur et au réconfort de l’air frais qui m’enveloppe. Ensuite, après que le corps a retrouvé un peu de bien-être, de ce bien-être si particulier qui naît après le soulagement, je me souviens qu’il y  a des « choses à voir ».

    Alors, je me mets en marche. Les œuvres s’égrainent au fil de la promenade. Dans ces endroits, on n’est jamais à l’abri de faire une rencontre. Mais, on n’est jamais à l’abri non plus de s’y ennuyer. Il m’est déjà arrivé de traverser un musée  avec un triste désintérêt, voire même un ennui proche du dépit amoureux. Passer de salle en salle, regarder les œuvres exposées comme autant de mots vides de sens. S’arrêter, chercher mais ne rencontrer nulle œuvre qui vive en soi.  C’est toujours une expérience décevante, même quand la climatisation assure le confort de la température. Mais, ces rendez-vous manqués sont parfois rattrapés in extremis, par un évènement qu’on n’attendait plus. J’ai gardé un souvenir très vif de ces endroits où s’est produit ce genre de rencontres.  Et en Ombrie c’est une nature morte de Botero qui m’a sorti un jour de ma torpeur.

    C’était à Spoleto, dans le Palazzo dei Ducchi. Il y avait là une nature morte. L’équilibre de la composition de cette petite sculpture m’a tellement ravi que j’ai n’ai pu m’empêcher d’en faire et refaire le tour, comme hypnotisé.  Inexplicablement, cette œuvre de plâtre blanc a fait remonter en moi ce que j’avais ressenti devant les toiles de Veermer,  il y a quelques années. Une expérience intime et profonde de douceur et d’équilibre.

    Dans le musée imaginaire que j’ai forgé au cours de mes rendez-vous manqués ou réussis dans les musées, il y aura dorénavant cette nature morte de Botero. Par une étrange alchimie, je sais qu’à partir de maintenant, quand je voudrais la faire remonter à la surface de ma conscience, il me faudra descendre à l’étage des peintres flamands, et mettre en marche la climatisation.

  • Ombrie, voyage intérieur : faire la route en voiture

    Louer une voiture pour une semaine ou deux fait partie des plaisirs que je m’offre en vacances. En général un loueur vous garantit une certaine catégorie de véhicule mais sans s’engager fermement sur le modèle, cette façon de procéder me convient assez bien car elle ménage la surprise du modèle et j’aime cette première surprise des vacances.  Cela me rappelle un peu celle des œufs Kinder de mon enfance, mais en plus grand …

    Cette année, la surprise  c’est une Fiat 500 L blanche et noire. J’aurais préféré un modèle un peu plus puissant (le nôtre n’est doté que d’un petit moteur 1.3litres) pour être plus à l’aise sur les routes de montagne mais au moins, le gabarit est correct, on sera à l’aise tous les trois avec tous nos bagages. Et puis, avec Fiat, nous aurons le plaisir de rouler local, avec l’autoradio branché sur radio 101 pour laisser se déverser des flots de variété italienne parsemée de quelques hits américains.

    Chaque jour,  la Fiat 500 L nous emmène sur les routes de l’Ombrie pour découvrir les beautés de ses paysages. La région offre des collines et de basses montagnes, partout on y voit la main de l’homme. Comme en Toscane, la région voisine, le paysage est dessiné et sculpté par ses habitants. L’espace est découpé en petites parcelles sur lesquelles est cultivée une grande variété d’essences. La culture de céréales, côtoie  celles du maïs et du tournesol tandis qu’au détour du virage ce sont les vignes et les oliveraies qui ornent la colline. Des fermes de taille modeste veillent sur le paysage, construites en petites briques rouges et en pierres blanches elles parsèment les collines et veillent sur les lieux comme des vigies laborieuses pour nous rappeler que la beauté ici ne doit rien au hasard.

    Il n’est pas rare de faire une halte sur la route, juste le temps de regarder et  de garder par devers soi un moment de paysage. Si la lumière le permet, s’il reste des vues sur la pellicule, alors on tentera peut-être d’en conserver une trace en prenant une photo. C’est une colline aux courbes adorables, une vallée colorée de toute une gamme de verts ou encore un village orgueilleux bâti sur un éperon rocheux qui nous fait arrêter la voiture sur le bord de la route. Les warning clignotent pendant qu’on prend  le temps de contempler cet endroit qu’on ne reverra peut-être jamais, et qu’on tente de faire rentrer le plus de beauté possible dans le petit cadre de l’appareil photo.

    Faire la route en vacances c’est aussi se laisser conduire au hasard des panneaux rencontrés sur le bord du chemin. Faire un détour et ne pas obéir au programme établit le matin même, au cours du petit déjeuner pendant lequel on buvait le café sur un coin de carte routière. Faire la route en vacances, c’est s’offrir cette petite aventure, cet espace de liberté où tout n’est pas écrit d’avance, où il est possible de s’affranchir des règles si ordinaires de l’emploi du temps. On quitte alors la route initiale pour les chemins de traverse , attiré par la découverte d’une nécropole étrusque ou d’un village médiéval.  Parfois, c’est la rencontre d’un vigneron offrant la dégustation de son vin qui nous fait dévier de notre chemin ou encore la présence d’un musée improbable. On remonte ensuite dans la Fiat – Kinder Surprise pour reprendre le cours de notre voyage, chargés de quelques bouteilles ou de cartes postales, en ayant eu ce plaisir si précieux de laisser le hasard jalonner la route des vacances de petits bonheurs imprévus.

  • Ombrie, voyage intérieur : les places

    S’il y a un élément architectural qui  résume pour moi l’Italie c’est bien la place. C’est le lieu par excellence où la fameuse dolce vita imprègne l’esprit et le corps à travers une expérience singulière et apaisante.

    Je me souviens de Florence, de Sienne, de Bergame, d’Asti, de San Gimignano, de Volterra ou de Catane et toujours ce sont les mêmes sensations qui me reviennent.  Etrangement les grandes villes comme Rome, Milan ou Turin ont des places plus singulières. Elles sont bien sûr plus grandes que celles des villes de province et souvent plus imposantes mais elles n’offrent pas cette expérience qui me plaît temps. J’ai l’idée que dans la grande ville, la piazza n’est qu’un lieu de transition, un nœud servant de passage, un espace urbain de dé-placement. En revanche, il me semble que dans une petite ville italienne dont les rues et les maisons abritent les hommes depuis le Moyen-Âge ou la Renaissance, la piazza est le lieu où l’on s’arrête, l’endroit où on se rend et où l’on reste « en place ».

    En arpentant ces derniers jours les villes de Pérouse et Assise j’ai retrouvé cette certaine idée de la dolce vita que j’ai forgée, je crois, lors de mon premier séjour en Italie en découvrant  la Piazza della signora à Florence. C’est là que j’ai ressenti pour la première fois  cette profonde émotion de douceur et  de tranquillité. Plus précisément, c’est là que j’ai découvert cette expérience esthétique si précieuse, faite de la fascination béate devant la beauté de l’espace et de cette expérience si particulière du temps ressenti à travers une intense contemplation de la durée et de la profondeur de l’instant. A Pérouse, la Piazza Matteotti, et à Assise la Piazza del Comune m’ont toutes les deux offert le bonheur de retrouver cette expérience primitive. J’ai à nouveau ressenti ce délicieux plaisir d’être simplement ici et maintenant, hic et nunc comme disaient les Romains.

    Malheureusement,  je ne peux rester à demeure  et me détacher éternellement du monde. Il faut bien partir et laisser la beauté et le temps suspendu  d’une petite piazza d’Italie. Je ressens en partant presque comme un arrachement et je me console en espérant qu’il y aura bien quelque chose de cette place qui durera encore un peu en moi, bien en place.

  • Ombrie, voyage intérieur : marcher dans la rue.

    Entre 13 heures et 16 heures la rue somnole. Seuls quelques touristes bravent la chaleur étouffante et baguenaudent dans la rue endormie. L’ombre est précieuse. Elle fournit un refuge au marcheur et lui montre le chemin. Quand la température atteint 35 ° voire 40° à l’ombre, le besoin de fraîcheur devient la quête principale du promeneur désœuvré. Les églises qui jalonnent les rues surchauffées retrouvent leur sens de refuge ancestral, même pour le mécréant le plus acharné, sous peine de rôtir, non pas en enfer, en tout cas pas cette fois, mais bien plus sûrement au soleil.

    L’amateur de shopping trouvera là aussi, dans la rue désertée,  matière à sa concupiscence. Les boutiques, bien sûr, sont fermées mais la prévoyance des commerçants leur a appris à ne pas baisser leur rideau de fer. Ainsi, le chaland alangui par la chaleur peut, tout au long de son errance,  admirer  les plus beaux articles qui restent exposés en vitrine. Alors, l’amateur de shopping suspend sa marche un instant et se laisse aller à la rêverie. Cette petite robe, cette paire de chaussures, prennent à ses yeux une valeur toute particulière, celle du désir inaccessible. A moins de revenir plus tard, quand la boutique sera ouverte, on ne peut pas se payer ce petit plaisir. Alors, on rêve un peu, et ce charmant désir véniel se refait une virginité, on sait qu’on aurait presque pu, mais on ne l’a pas essayé, ni cette si charmante petite robe, ni cette si belle paire de chaussures. On magasine à peu de frais et il ne restera plus tard que le souvenir de ce petit désir sans engagement.

    Parfois, dans certaines de ces rues si pleines de soleil mais désertées par ses habitants on passe sous des cordes à linges qui relient les façades des deux bords de la rue ou de la ruelle. Il nous revient alors des souvenirs d’anciens films italiens en noir et blanc, immanquablement, si vous vous abritez quelques instants à l’ombre dans l’une de ces rues vous ne pourrez manquer l’inévitable Vespa qui passera crânement dans la rue désertée. On s’étonne alors de constater  à quel point la réalité peut parfois se conformer exactement à l’idée qu’on s’en fait. Une fois le Vespa éloigné et avec lui son grossier ronflement motorisé, on distingue les bruits des maisons qui vivent encore. D’abord, on n’y avait pas prêté attention, de la même façon qu’on oublie d’entendre le clapotis des vagues ou le chant des cigales. Et, sans que l’on sache vraiment pourquoi, soudainement tout un univers sonore apparaît à notre conscience. Toutes fenêtres ouvertes, les sons s’échappent, ricochent sur les façades de crépis jaunes, verts ou marrons et redescendent jusque dans la rue. Là, nous entendons cette étrange rumeur qui court et remonte de fenêtres en fenêtres, on ne distingue aucune parole mais c’est un bourdonnement diffus, dont de temps à autre émerge un éclat de voix, les pleurs d’un enfant ou un bruit de vaisselle.

    Au moment où la rue reprend son activité et que la chaleur décline doucement, les gens reviennent arpenter ses trottoirs. De nouvelles odeurs prennent possession de l’espace, des odeurs de savons, de parfums et d’eaux de toilette constellent les pas du marcheur. Nombreuses sont les personnes qui se sont lavées avant de sortir battre le pavé des petites rues italiennes.  C’est l’heure où l’on croise de généreux musiciens qui sous un porche ou une halle mettent un terme au brouhaha de la rue pour y faire résonner des notes de musique. Alors,  je m’oublie quelques instants, j’écoute la musique envahir à la fois la rue et mon âme et  j’arrête de marcher.